Rothko et Kahn

Jean-Bruno Kerisel, Rothko et Kahn, la lumière en partage, essai, Pippa, 2020, 140 pages, 20 €

« Qui commet le meurtre d’un homme qui se tue ? »

« Et celui qui survit c’est pour raconter quelle histoire ? »

Jean-Bruno Kerisel aborde ces deux questions, dans L’empreinte d’un frère et ensuite dans cet essai. Comment assumer la culpabilité du suicide d’un frère quand, dans une famille, il est interdit d’en parler ? L’écriture vient rouvrir les blessures mais peut-être aussi les apaiser. Dans le premier livre, l’auteur écrivait : « Je le cherche, petite lumière / invisible aux autres et je le fais vivre » et encore : « J’écris pour que tu ne sois plus un spectre / pour que tu n ’obscurcisses plus mon existence / que tu l’éclaires. » Et cette petite lumière s’agrandit dans ce second livre où une rencontre est imaginée, entre Rothko, peintre et Kahn, architecte. Grâce à une profusion de détails, nous participons pleinement à leurs échanges, leurs doutes, mais aussi à leur processus de création. Au fil des pages, une amitié fraternelle se construit, les deux hommes ayant un même objectif de beauté, de lumière comme d’ailleurs, l’auteur de ce livre.

 L’imaginaire, avec des identifications possibles aux personnages, permet de réinterroger le tragique d’un événement. À l’immobilité de la mort, au silence, Jean- Bruno Kerisel oppose la circulation d’affects et de paroles des deux artistes.

 La fiction déplace les questions vers un autre point de vue, celui de l’art qui permet de transfigurer la douleur d’un traumatisme en création partageable par tous. Il y a une faille en toute chose c’est par cette faille que jaillit la lumière »

Jean-Bruno Kerisel ose regarder les failles, les explorer par l’écriture. Ainsi, il se relie à la fois à son frère et à tous les humains qui reconnaissent leur fragilité et s’y appuient pour inventer leur vision du monde.

J. Persini

Poésie/ première Mars 2021